L'Allemagne nazie a réclamé dans tous les pays qu'elle occupait des travailleurs afin de contribuer à son effort de guerre. En effet une grande partie de la population allemande étant enrôlée dans la Wehrmacht, les bras et les ouvriers qualifiés manquent dans les usines allemandes.
C'est sur la base du volontariat que dans un premiers temps des ouvriers français partent travailler en Allemagne dès l'automne 1940. Les ouvriers, attirés par le salaire proposés alors qu'un fort chomage sévit en France, sont recrutés en zone occupée directement par des offices allemands.
Carte adressée par un ouvrier français volontaire en Allemagne. Il est hébergé dans un camp du Deutsche Arbeitsfront (DAF Lager), un organisme nazi en charge de l'organisation du travail et de l'encadrement des ouvriers. Le texte évoque les conditions : travail "en douce", repas à la cantine de l'usine, salaire (on nous retient beaucoup : en effet une partie du salaire est retenue au titre des frais d'hébergement et de nourriture). La carte est envoyée le 16 novembre 1940 et a été contrôlée par l'A.B.P Francfort.
Les Allemands réclamant de plus en plus d'ouvriers, le gouvernement de Vichy tente d'inciter les travailleurs français à se porter volontaire. Le Service de la main-d'œuvre française en Allemagne est créée le 20 mars 1942, et c'est le très collaborateur Gaston Bruneton qui est prend la direction. En juin 1942, alors que Pierre Laval vient dêtre rappelé à la présidence du conseil, est créée la relève, mesure consistant à inciter les travailleurs à partir pour l'Allemagne en promettant le retour d'un prisonnier de guerre pour le départ de trois ouvriers français. Cette mesure étant un échec, et sous la pression grandissante des autorités allemandes, l'envoi de travailleurs doit alors être assuré par la contrainte.
Ainsi une première loi promulguée le 4 septembre 1942 instaure la réquisition des ouvriers français. Le Service de la main-d'œuvre française en Allemagne, dont la mission prend de l'ampleur avec les mesures de réquisition, devient le 6 février 1943 le Commissariat Général à la main-d'œuvre française en Allemagne, toujours sous la direction de Gaston Bruneton (cf. P. Arnaud ci-dessous). Une seconde loi promulguée le 16 février 1943 instaure le Service Obligatoire du Travail (dont l'acronyme SOT est rapidement brocardé!), vite rebaptisé Service du Travail Obligatoire (STO). Par cette loi les ouvriers sont appelés par classes d'âge entières. La première classe concernée est la classe 1922.
La loi du 24 février 1943 créé un Commissariat Général au Service du Travail Obligatoire sous la direction de Robert Weimann. Cet organisme est en charge de la mise en place de la réquisition, tandis que le Commissariat Général à la main-d'œuvre française en Allemagne, qui fonctionne en parallèle, est en charge de l'encadrement des travailleurs en Allemagne.
Le 18 août 1943, la réforme de la loi du 24 février 1943 transforme le Commissariat général au service du travail obligatoire en Commissariat général interministériel à la main-d'œuvre.
Le 1 er janvier 1944, le Commissariat Général à la main-d'œuvre française en Allemagne devient le Commissariat Général à l'Action Sociale pour les Français Travaillant en Allemagne.
Formulaire de demande de renseignement émis par le Commissariat Général d’Action Sociale pour les Français Travaillant en Allemagne et transmis le 6 juillet 1944 via la délégation officielle française de cet organisme auprès de son homologue allemand, le Deutsche Arbeit Front (D.A.F.).
sources :
Patrice Arnaud. Gaston Bruneton et l'encadrement des travailleurs français en Allemagne (1942-1945). In: Vingtième Siècle.
Revue d'histoire. N°67, juillet-septembre 2000. pp. 95-118.
doi : 10.3406/xxs.2000.4597Fonds Jean Isméolari (Papiers personnels (1901-1979) et archives du STO au ministère du Travail (1941-1961) Répertoire numérique détaillé et index nominatif des articles F/22/2330 à F/22/2387 sous la direction de Patrice Triboux, conservateur du patrimoine, établi par Mélanie Lecarpentier, adjointe technique, avec la collaboration de Cécile Bosquier-Britten, chargée d'études documentaires
Les travailleurs en Allemagne, qu'ils soient volontaires ou requis, ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre. A ce titre ils ne relèvent pas de la convention de Genève et ils ne bénéficient pas de la franchise postale, ce qui est une source supplémentaire de mécontentement comme le montre le passage ci-dessous extrait de la synthèse des rapports mensuels des préfets de la zone occupée du mois de Juin 1943 :
COLIS POUR LES OUVRIERS TRAVAILLANT EN ALLEMAGNE
Enfin il y a lieu de noter que les familles des ouvriers partis travailler en Allemagne demandent instamment de pouvoir écrire en franchise à leur parent et réclament la gratuité du transport des colis ;
Elles sollicitent des facilités pour l’achat de denrées servant à la confection de ces colis qu’elles ne peuvent composer qu’en prélevant sur leurs propres rations. «Alors que les hommes des jeunes classes partent nombreux pour l’Allemagne, souligne le Préfet de la Seine Inférieure, il est de toute nécessité que leur famille aient le sentiment que les ouvriers affectés à l’étranger font toujours partie de la grande communauté des travailleurs français. Le succès de la relève dépend en partie de la solution qui sera donnée à ce problème».
Toutefois dans ce contexte, le Commissariat Général à la main d'œuvre en Allemagne annonce en décembre 1943 la prise en charge des frais d'envoi des colis de vêtements à destination des travailleurs en Allemagne. La procédure d'envoi (qui reste inchangée) et de remboursement des frais d'expédition est décrite dans un article de la Croix du 13 décembre 1943.
Bulletin d'expédition de colis Arbeiterpaket à destination d'un travailleur français en Allemagne (cachet de transit à Cologne le 13 janvier 1943). L'expéditeur du colis conservait la partie gauche du bordereau. Le prix du transport (19,20 F) est indiqué sur le bordereau. Une taxe de dédoudanement de 55 Pfennig a été en outre perçue par la douane allemande (étiquette verte).
Bulletin d'expédition de colis Arbeiterpaket à destination d'un travailleur français en Allemagne envoyé de Reims le 13 mai 1943. Le coupon destiné à l'expéditeur (partie gauche du bordereau) est restée attenante. Le prix du transport (28 F) est indiqué sur le bordereau.
Les relations postales entre l'Allemagne et la zone Nord fonctionnant normalement, le courrier ouvrier circule sans restriction au même titre que le courrier de n'importe quel particulier. Les lettres recommandées sont autorisées.
Carte adressée par un ouvrier français de l'usine Opel à Stettin à l'Aumônerie des Travailleurs à l'étranger à Paris. La carte est envoyée le 26 février et a été contrôlée par l'A.B.P Francfort.
Lettre recommandée envoyée le 9 novembre 1943 à destination d'un ouvrier français à Weimar. A partir de d'avril 1943, les courriers recommandés ne pouvaient être échangés qu'entre l'Allemagne et la zone nord. La lettre a été contrôlée par l'Auslandsbriefbrüfstelle Francfort (cachet rouge Ae).
Les relations postales sont normalement très restreintes entre l'Allemagne et la France de Vichy, y compris après l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes suite au débarquement allié d'Afrique du Nord : seul le courrier économique important est autorisé depuis le 20 avril 1942 (Note PB5 du 6 mai 1942 relative à la reprise de certaines relations postales à partir de la zone non occupée du territoire), et les correspondances entre particuliers sont interdites.
Les modalités d'échange du courrier ouvrier sont donc dérogatoires, et soumises à des nombreuses restrictions imposées par les autorités allemandes. Elles ont de plus évolué de 1942 à 1944.
Cet article du Journal des Débats Politiques et Littéraires paru le 3 août 1942 nous renseigne sur les premières modalités mises en place en 1942 :
On apprend dans l'article du Journal des Débats Politiques et Littéraires du 3 août 1942 qu'un système de double enveloppe est institué afin de permettre l'échange du courrier ouvrier entre la zone sud et l'Allemagne. Le courrier transite via un organisme allemand basé à Lyon, le Centre en France des organisations économiques allemandes (Verbindungsstelle Frankreich der Organisation der Deutschen Wirtschaft) et via le centre de contrôle postal de Francfort (A.B.P Francfort).
Les instructions de cet article découlent des notes P.B.5 du 4 mars 1942 et du 20 juin 1942. La note du 4 mars 1942 précise que les courriers doivent être affranchis au tarif international mais sont acheminés entre Lyon et Francfort "sans la participation du service postal français".
Les courriers ouvriers en provenance d'Allemagne durant cette première période parviennent revêtus d'une note explicative appliquée par l'A.B.P Francfort et expliquant cette procédure.
Carte d'un ouvrier en Allemagne envoyée de Berlin le 15 août 1942 à destination de Saint-Étienne (zone non-occupée) avec étiquette de l'A.B.P Francfort expliquant la procédure de la double enveloppe. (merci à Jean pour le cliché).
Le système complexe de double enveloppe est abandonné le 8 décembre 1942 (Instruction Po.5 du 8 décembre 1942). Les autorités allemandes demandent alors que les courriers provenant de la zone non-occupée (devenue zone sud) soient envoyés sous une seule enveloppe ouverte avec la mention apparente via Lyon. Les courriers ouvriers entre la zone sud et l'Allemagne continuent alors à transiter via le Centre en France des organisations économiques allemande de Lyon.
Lettre envoyée de Lyon le 12 juin 1944 à destination d'un ouvrier à Weimar. La mention via Lyon est portée sur l'enveloppe conformément aux instructions du 8 décembre 1942. Elle est obligatoire pour tout courrier ouvrier en provenance de la zone Sud du 8 décembre 1942 au 13 juillet 1944 (alors que les relations postales entre la zone Sud et l'Allemagne sont restreintes au courrier économique important et au courrier ouvrier).
Dans le sens Allemagne vers la France zone sud, l'ouvrier devait porter les mentions zone libre et langue française
Lettre envoyée par un ouvrier français à Leipzig à destination de Toulon (ex zone non occupée) le 6 juillet 1944 avec double contrôle de l'ABP Ae de Francfort et la commission XE de Marseille. Au dos, un cachet indique l'adresse du lieu d'hébergement de l'ouvrier. Les mentions zone libre et langue française sont imposées pour le courrier à destination de la zone sud.
Au titre des restrictions, on peut également mentionner l'interdiction à partir d'avril 1943 d'échanger des lettres recommandées, par exprès ou par avion avec la zone sud (Note PO. 5 du 20 avril 1943 relative au courrier des travailleurs français en Allemagne). Les lettres postées après l'entrée en vigueur de cette interdiction ont été renvoyées par l'A.B.P Francfort après apposition d'une étiquette explicative.
Trois variantes de cette étiquette se sont succédées :
Lettre recommandée envoyée de Bremen le 9 septembre 1943 à destination de La Montagne de Romette (Hautes-Alpes), zone non-occupée, avec étiquette de retour bilingue apposée par l'A.B.P Francfort. Modèle d'étiquette Nr. 78. 15000. 8.43 K/0942-5693. Les lettres recommandées envoyées par les ouvriers français en Allemagne à destination de la zone non-occupée sont interdites depuis avril 1943.
Lettre recommandée envoyée de Berlin le 8 août 1943 à destination de Mandelieu dans les Alpes-Maritimes (zone non occupée) avec étiquette de retour apposée par l'A.B.P Francfort. Modèle d'étiquette K/0942-3983 - réf. Landsmann EZ1.3. (merci à Joel pour le cliché).
Lettre recommandée envoyée de Schwenningen le 26 septembre 1943 à destination de Cunlhat dans le Puy-de-Dôme (zone non occupée) avec étiquette de retour apposée par l'A.B.P Francfort. Modèle d'étiquette Nr. 78. 15000. 8.43 K/0942-5693 (merci à Jean pour le cliché).
Lettre recommandée envoyée de Weiden le 12 décembre 1943 à destination de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales (zone non occupée) avec étiquette de retour apposée par l'A.B.P Francfort. Modèle d'étiquette Nr. 78. 50000. 11.43 K/0524 - réf. Landsmann EZ1.4. (merci à Jean pour le cliché).
Les mesures restrictives ont officiellement pris fin seulement par l'application des notes PO.4 et 5 du 13 juillet 1944 relatives au courrier des ouvrières et ouvriers français travaillant en Allemagne, confirmée par une note du 25 juillet 1944 émanent du centre d'information du travail français en Allemagne, peu de temps avant l'interruption des relations postales entre la France et l'Allemagne du fait de la Libération.
Durant toute la durée du STO, les courriers ouvriers sont contrôlés par l'A.B.P Francfort, qu'ils soient échangés avec la zone sud ou la zone nord.
L'indice e était attribué à A.B.P Francfort, ce qui explique la présence soit de bandes de fermetures combinées aux cachets Oberkommando der Wehrmacht avec cet indice e, soit de cachets Ae (A signifiant Auslandsbriefprüfstelle).
Carte-lettre envoyée par un ouvrier français de la fonderie de plomb de Gailitz, près d'Arnoldstein (Autriche) le 21 octobre 1943 à destination de Saint-Etienne (ex zone non occupée). On remarque la mention en haut à gauche an die Auslands-Brief-Prüftselle in Frankfurt am Main : les relations postales étaient en effet normalement très restreintes entre l'Allemagne et la France de Vichy, et des dispositions particulières réglementaient le courrier échangé entre les ouvriers en Allemagne et leur proches en zone non occupée. L'A.B.P Francfort contrôlait ce courrier échangé entre les ouvriers français et leurs correspondants et a apposé le cachet rouge Ae.
Les entreprises employant beaucoup d'ouvriers français regroupaient elles-mêmes le courrier à destination de la zone sud pour le transmettre à l'A.B.P Francfort. Le courrier était alors affranchi mais non oblitéré au départ. C'est l'A.B.P Francfort qui remettait le courrier à la poste, qui était alors oblitéré de Francfort. Dans ce cas trouve notamment des cachets Frankfurt (Main) - Psst ou Frankfurt (Main) - Postsammelstelle sur le courrier ouvrier, ainsi que des cachets commémoratifs de Francfort.
Lettre envoyée par un ouvrier français du camp de Blechhammer à destination de Nîmes (Gard, ex zone non occupée). La lettre a été remise à l'entreprise employant l'ouvrier qui l'a transmise sous sac à l'A.B.P Francfort pour contrôle (apposition d'une bande avec indie e et du cachet Oberkommando der Wehrmacht). C'est l'A.B.P Francfort qui a remis la lettre dans le circuit postal : cachet Frankfurt (Main) - Psst du 2 février 1943. Ce cas de figure est très fréquent sans être systématique.
Lettre envoyée par un ouvrier français d'Allenstein à destination de Caluire et Cuire (près de Lyon, ex zone non occupée). Là encore la lettre a été remise directement par l'employeur à l'A.B.P Francfort qui l'a transmise à la poste : cachet rouge Ae et marque de lecteur 266 de l'A.B.P Francfort, et cachet Frankfurt (Main) - Postsammelstelle du 10 février 1944.
A partir de février 1944, les ouvriers ne purent envoyer que deux lettres par mois à destination de la France. Les envois étaient contrôlés au moyen d'une carte dite Lagerkarte (carte de camp) tamponnée par le bureau de poste à chaque envoi. Les cartes postales n'étaient elles pas contingentées (Reichzollblatt n°3, 22 janvier 1944, cité par M. Frick et G. Miclo dans Histoire de la poste à Colmar (Deuxième Guerre mondiale) Supplément n°2).
Suite aux débarquements et à la progression des Alliés en France, les relations postales entre la France et l'Allemagne sont interrompues. Le courrier des prisonniers de guerre continue à être acheminé en vertu de la convention de Genève, mais il n'en est pas de même pour les courriers des ouvriers français en Allemagne.
Les courriers sont refoulés de part et d'autre à partir de fin août 1944. En France, les griffes RETOUR à l'envoyeur, Courrier non acheminable et Employer Formules Croix Rouge sont appliquées sur les courriers retournés. En Allemagne, une griffe équivalente portant la mention Zurück! z. Zt. nich zu beförden est utilisée.
Les correspondances entre la France et l'Allemagne pouvaient se faire comme indiqué par la griffe française via les messages Croix-Rouge qui transitaient par Genève. Les délais d'acheminement étaient toutefois très longs, de l'ordre de 6 mois!